Depuis le 25 juin 2020, la province de la Tshopo est en proie à une crise institutionnelle qui met aux prises le Gouverneur Louis Marie Walle Lufungula et l’Assemblée provinciale ou, du moins, une frange des députés provinciaux. A la base, une affaire d’interprétation des résultats du vote de la motion de défiance qui visait le chef de l’exécutif provincial. Chargé de plusieurs griefs se résumant en la mégestion, Walle avait présenté ses moyens de défense lors de la plénière fatidique du 25 juin avant le vote.
Celui-ci va se solder sur un score de 13 voix pour, 10 contre et 5 bulletins nuls. Ce résultat n’a donc pas dégagé une majorité absolue (14+1) pour déchoir le Gouverneur qui restait donc en fonction. Tout le monde s’incline devant cette évidence et l’affaire est censée être close.
Le début des ennuis de Walle Lufungula
Que nenni ! Quelques heures plus tard, le Président de l’Assemblée provinciale, Gilbert Bokungu, convoque la presse pour présenter un procès-verbal du vote qui fait une interprétation plutôt étrange du résultat du vote qui venait d’avoir lieu. Pour lui, en effet, les 13 voix pour se traduisent par 56% des votants, ce qui signifie que le Gouverneur est déchu. Cette version, présentée hors plénière, est soutenue par 17 députés provinciaux contre 11 absents de la conférence de presse.
C’est de là que part le conflit qui va se corser 4 jours plus tard, soit le 29 juin, à la clôture de la session. Ce jour-là, en effet, le même Président de la l’Assemblée provinciale va annoncer une mise en accusation du Gouverneur sur base de sa propre interprétation des résultats du vote de défiance. La mise en accusation est décidée sans aucune résolution de la plénière comme l’exige la procédure prévue dans le règlement intérieur notamment.
Dès ce moment, les observateurs aiguisent leur curiosité pour savoir l’anguille qui est sous cette roche d’aberrations dans l’interprétation des dispositions constitutionnelles (article 146) et légales (articles 41 de la loi sur la libre administration des provinces,) ainsi que du règlement intérieur de l’AP/Tshopo (article 208). Tous ces textes parlent de la majorité absolue constituée par la moitié des votants plus 1 au moins pour qu’un vote de défiance soit adopté. Il n’est, en tout cas, indiqué nulle part la théorie du pourcentage. Une évidence sans appel, mais qui renforce la curiosité lorsque la position erronée de la bande à Bokungu va bénéficier des soutiens jusqu’à Kinshasa, dans le gouvernement central. Incroyable !
Face à cet imbroglio, le Gouverneur va saisir la justice à Kisangani qui battra en brèche cette position de Gilbert Bokungu et son groupe. Mais, qu’à cela ne tienne, ils vont persévérer dans cette démarche et aujourd’hui l’affaire se trouve au niveau de la Cour constitutionnelle qui, cependant, ne sait pas siéger pour des raisons que l’on connaît.
Devant ces contradictions et face au mur des incompréhensions, le Gouverneur Walle avait, dès le départ de la crise ayant conduit à la motion de défiance, initié un séminaire de mise à niveau des députés provinciaux sur l’organisation et le fonctionnement des institutions provinciale, à commencer par l’Assemblée provinciale. Il s’avèrera, malheureusement, que malgré cette mise à niveau, les problèmes continueront à se multiplier. Ce qui finira par convaincre les observateurs que le problème se trouve ailleurs et non dans le niveau des capacités.
Ignorance des textes : le premier fléau qui ronge la Tshopo
Après enquête, en effet, il se dégage que la province de la Tshopo est victime de trois fléaux majeurs de sa classe politique, plus précisément de certains de ses députés provinciaux. Le premier fléau est le déficit de compréhension des attributions de l’Assemblée provinciale. Considérée comme première institution provinciale, certains de ses députés, sous la houlette du Président Bokungu, considèrent cette position comme un sauf-conduit qui accorde tous les droits à cette institution.
C’est ainsi, par exemple, que, contre toutes les dispositions légales et réglementaires, ces députés provinciaux se donnent des pouvoirs illimités jusqu’à contrôler les bourgmestres, les entreprises privées, les représentations provinciales des régies financières nationales. Le Président Gilbert Bokungu va jusqu’à signer des contrats avec des investisseurs au nom de la province, rôle qui est dévolu à l’exécutif.
L’argent : une soif inextinguible des hommes de Bokungu
Le deuxième fléau, qui sous-tend d’ailleurs le premier, est la course à l’enrichissement rapide. A plusieurs reprises et sur plusieurs dossiers ayant trait à l’argent, en effet, ces députés provinciaux ont attendu « un geste » du Gouverneur, même au mépris des règles de bonne gouvernance. Ne l’ayant pas vu (le geste), ils monteront alors sur leurs grands chevaux pour en découdre avec lui.
Pour les députés provinciaux, les deniers de la province sont leur propriété confiée à la simple garde du Gouverneur. Sous cette logique, celui-ci a l’obligation de faire droit, sans rechigner, à toutes les sollicitations des députés provinciaux sous peine de subir leurs foudres. D’ailleurs, à Kisangani, tout le monde connaît l’interprétation que ces députés provinciaux font de ce passage biblique : « enfants, obéissez aux parents afin que vous soyez heureux et que vous viviez longtemps ». L’enfant ici c’est le Gouverneur et les députés provinciaux sont les parents. Ca dit tout !
Et le chapelet des sollicitations financières des députés provinciaux en dit long. On parle, notamment, de l’affaire de 704.000$ qui auraient été affectés à la province de la Tshopo pour les travaux du programme des 100 jours du chef de l’Etat. Des fonds qui avaient été débloqués avant même l’élection de Walle Lofungula comme Gouverneur et son investiture, mais sur lesquels on l’accuse de détournement. Il y a également le dossier de 2 millions Usd obtenus par Walle du Foner pour l’entretien et la réhabilitation des routes. L’argent était géré par la direction provinciale du Foner, mais c’est encore le Gouverneur qui a été accusé de détournement.
Idem pour les fonds collectés de la vente des plaques minéralogiques des motards. Les accusateurs de Louis Marie Walle lui attribuent des sommes trois fois supérieurs aux recettes réelles réalisées. De plus, autant que certaines institutions et certains services comme la police, l’Assemblée provinciale de la Tshopo avait pris des plaques à crédit pour son charroi des motos. A ce jour, rien n’a encore été payé.
Ce n’est pas tout. Walle Lofungula est aussi accusé de détournement des fonds Covid-19 dont le montant est astronomiquement gonflé pour le besoin de la cause.
Le plus loufoque est l’affaire d’un crédit de 2,5 millions Usd contracté par le Gouvernement provincial auprès de la FBNBank avec l’autorisation de l’assemblée provinciale. Ce fonds devait servir à réhabiliter certains bâtiments officiels dont l’assemblée provinciale, à des travaux d’infrastructures routiers (dont l’achat des engins pour ce faire) ainsi qu’au renforcement du plateau médical de la province.
Alors qu’ils connaissaient bien la destination de ce crédit, les députés provinciaux vont assiéger le Gouverneur pour qu’il leur soit versé une quote-part. Les tractations qui vont s’en suivre débouchent sur un compromis selon lequel chaque député provincial allait avoir une enveloppe pour réaliser des travaux d’intérêt public dans leurs circonscriptions respectives. Sur les 200.000 $ retenus pour la réfection du bâtiment de l’Assemblée provinciale, 140.000$ vont ainsi être défalqués pour des projets dits à impact visible. A ce jour, cependant, aucun des députés provinciaux n’a réalisé quoi que ce soit chez-lui…
Last but not least, le Gouvernement provinciale a également été sollicité pour soutenir les députés provinciaux qui accusent des arriérés d’émoluments. Depuis plusieurs mois, une enveloppe mensuelle de 100.000.000 de FC (50.000 Usd) pour le défraiement des députés provinciaux. Le bureau bénéficie d’un bonus de 20.000.000 de FC (10.000 Usd) en plus de la part qu’il retire du principal montant.
La manipulation politique sur fond de 2023
Le troisième fléau qui ronge la Tshopo se nomme la manipulation politique. Une manipulation qui, selon des milieux proches de la province, commence dans la famille politique même du Gouverneur Walle Lufungula. Des caciques de cette famille politique ne lui pardonneraient pas d’avoir candidaté contre leur gré. Ils auraient ainsi juré de lui pourrir la vie en l’empêchant de travailler et, au besoin, en le faisant déchoir.
La manipulation, c’est aussi la bataille de tous les adversaires politiques qui, aujourd’hui, cherchent, à conquérir des provinces sous contrôle du FCC. Et dans ce registre, la Tshopo n’est pas la seule province à vivre des crises qu’en haut lieu au niveau national, on se rend curieusement incapables de résoudre. Tout simplement parce que c’est par là que se tirent les ficelles.
La province de la Tshopo se trouve ainsi sous une lutte de positionnement qui passe par la diabolisation du Gouverneur dans le but, surtout, de lui priver d’un bilan en perspective des échéances de 2023.
Enfin, au milieu de tout ça, les observateurs se posent une seule question : où a-t-on placé l’intérêt du « peuple (tshopolais) d’abord » ?
Jonas Eugène Kota